La Mauvaise Herbe vol.1 no.1 (novembre / décembre 2001)
En 2000, le ministre du Transport Guy Chevrette dépose son plan de transport pour la région métropolitaine. Plusieurs projets d’infrastructures sont prévus pour voir à la diminution de l’achalandage et à l’amélioration de la mobilité des personnes et des marchandises. Dans une perspective capitaliste, l’obstruction des voies routières est signe de ralentissement économique et de baisse de performance. C’est donc davantage pour le bon déroulement de l’économie que pour l’amélioration de la qualité de vie de la population ou de l’environnement que le ministère prévoit ces projets d’envergure. L’arrivée d’une autoroute dans les quartiers Hochelaga-Maisonneuve, Mercier et Centre-Sud aura des impacts environnementaux désastreux sur des quartiers. Malgré la contestation de plusieurs groupes, le projet d’autoroute semble être inéluctable selon les autorités politiques.
Autoroute ou boulevard urbain?
Le projet d’élargir la rue Notre-Dame ne date pas d’hier. Le 14 juillet 1972, le Ministre québécois à la Voirie, Monsieur Bernard Pinard, dépose un premier document faisant la promotion d’une autoroute est-ouest sur l’Île de Montréal, titré : Encore une autoroute à Montréal, pourquoi? (1) L’objectif du projet ressemble étrangement à celui de l’autoroute Notre-Dame qui est sur la table actuellement.
Aujourd’hui, la construction de l’autoroute Ville-Marie a partiellement réalisé le plan urbain du Ministre Bernard Pinard. Ce qui manque pour finaliser le projet de 1972 d’autoroute est-ouest est une jonction autoroutière entre la rue Souligny et l’autoroute Ville-Marie. Un projet nommé « modernisation de la rue Notre-Dame », visant à construire cette jonction manquante, a été déposé cette année par le Ministère des Transports du Québec (MTQ).
Une polémique s’est développée à propos de l’appellation du projet. Le ministère des Transports du Québec présente son projet de « modernisation de la rue Notre-Dame » comme étant la construction d’un boulevard urbain en tranchée de six voies, séparées au centre par un terre-plein. En premier lieu, le ministère souhaite creuser une tranchée de sept mètres de profondeur afin d’y installer l’asphalte de fondation. Ensuite, il veut remplacer la rue Notre-Dame par ce qu’il convient d’appeler une « autoroute urbaine ». Trois voies vers l’est et trois voies vers l’ouest sont envisagées à l’intérieur de ce fossé. Au sommet de cette tranchée artificielle, le ministère des transports souhaite construire deux voies de service de chaque côté. Le nombre total de voies projetées est donc de 10. Voilà pourquoi plusieurs groupes nomment le projet par sa véritable appellation scientifique, c’est-à-dire une autoroute.
Les caractéristiques du projet
La largeur des voies en tranchées, telle que proposée par le ministère, est de 3,5 mètres. Pour fin de comparaison, les voies de la Métropolitaine mesurent 3,7 mètres. On pourrait se réjouir de ce choix à la baisse qui offrirait plus d’espace vert, mais la palpitante question de la sécurité routière est préoccupante. Pour construire une autoroute, il faut assurément laisser un minimum d’espace aux voitures qui roulent à grande vitesse afin d’éviter les collisions. Les 3,5 mètres sont nettement un minimum à respecter.
Les six voies en tranchée et les voies d’accès et de service prévus par le MTQ devraient atteindre une largeur totale de plus de 60 mètres. L’opération aura comme effet d’éliminer tout l’espace vacant qui entoure présentement la rue Notre-Dame. Le projet d’autoroute du MTQ ne respecte donc pas les désirs de la municipalité, qui est de conserver une bande de terrain le long de la rue Notre-Dame à des fins résidentielles, et la construction de 1300 nouveaux logements prévus initialement sur ce terrain sera annulée.
Les intérêts privés et étatiques
Plusieurs entreprises privées ont des intérêts directs en ce qui concerne la « modernisation de la rue Notre-Dame ». La rue Notre-Dame attire une part importante des investissements économiques à Montréal. Voici la liste des entreprises qui y pratiquent la camionnage (elles-mêmes ou par la sous-traitance) sur la rue Notre-Dame : Molson, la Société des Alcools du Québec, Sucre Lantic, les Forces Armées Canadiennes, Canadien National, le Port de Montréal, Canadien Pacific et des grands épiciers comme I.G.A. et Métro. Cette liste pourrait être complétée par toutes les entreprises privées situées sur la rue Hochelaga et sur les rues transversales. Notons également la présence d’industries pétrolières plus à l’est de l’île. Celles-ci traitent une bonne partie du carburant utilisé au Québec par les automobilistes. On peut donc dire que ces corporations ont des intérêts directs quant à la construction des infrastructures routières. Plus de routes, plus de « chars », plus de consommation de produits pétroliers.
L’autoroute Décarie, son homologue
L’autoroute Décarie est l’homologue par excellence de ce projet. Calquée sur l’autoroute Décarie, la rue Notre-Dame moderne serait certainement accablée par un trafic dense, provoquant à coup sûr des embouteillages. On se souviendra que l’autoroute Décarie a été une solution de courte durée au problème du trafic automobile. Construite dans les années soixante, l’autoroute Décarie, ainsi que la Métropolitaine, est congestionnée à tous les jours, comme l’ensemble du réseau routier de Montréal. Pourtant à l’époque, les grands décideurs prônaient la fluidité des autoroutes. En moins de vingt ans, l’ensemble du réseau routier montréalais construit pendant les « trente glorieuses » fut touché, dans sa totalité, par la congestion automobile.L’histoire nous démontre qu’une autoroute ne peut donc répondre à long terme aux besoins d’une mobilité urbaine.
Impacts écologiques du projet
Il faut donc être réalistes. Une autoroute amènera une augmentation des déplacements routiers. Cette hausse entraînera donc, bien évidemment, une augmentation de la production de gaz à effet de serre et donc une hausse des polluants de l’air. Cette concentration de polluants de l’air est la source même de l’apparition de smog. On le sait, la rue Notre-Dame a déjà une forte concentration de smog urbain. L’autoroute ne fera qu’empirer la situation empoisonnant l’air du quartier Hochelaga-Maisonneuve, Centre-Sud et Mercier.
Dans son étude d’impact sur le projet de modernisation de la rue Notre-Dame, SNC-Lavallin, expert-conseil du Ministère des Transports du Québec, ne prévoit qu’un seul impact négatif : une certaine augmentation du bruit sur la rue d’Iberville. Pourtant, il est difficile de croire que la création d’une autoroute n’augmentera pas la pollution sonore partout.
Les quartiers Hochelaga-Maisonneuve, Mercier et Centre-Sud ne sont pas isolés du reste de la planète.; cet environnement n’est pas un système hermétique, fermé sur lui-même. Au contraire, il est inscrit dans l’écosystème bio-régional, qui à son tour est inscrit dans l’écosystème planétaire. L’étude d’impact de SNC-Lavallin ignore donc les impacts globaux et beaucoup plus subtils, mais potentiellement catastrophiques à long terme du projet de modernisation de la rue Notre-Dame.
Un projet inacceptable
En approuvant le projet, qui favorise le transport motorisé au détriment d’alternatives plus écologiques et socialement responsables, le gouvernement nourrit la tendance mondiale à l’accroissement de la construction et de l’utilisation de véhicules motorisés et des infrastructures routières nécessaires. Cet accroissement contribuera, à son tour, à l’augmentation globale de la pollution et à la dégradation générale du milieu social et environnemental. Pourtant, le gouvernement a signé les accords de Kyoto.
En effet, ceux qui profiteront le plus du projet d’agrandissement de la rue Notre-Dame ne sont pas les résident-e-s d’Hochelaga-Maisonneuve, ni même les Montréalais-e-s en général. Ceux/Celles qui profiteront de ces projets sont, directement, les bâtisseurs d’infrastructures routières (comme SNC-Lavalin), l’État, les automobilistes, les entreprises et, indirectement, la classe à laquelle appartiennent ces premiers, c’est-à-dire la bourgeoisie.
Or, les premiers à souffrir des problèmes sociaux et des catastrophes écologiques sont toujours les plus pauvres, c’est-à-dire « les autres », du point de vue du bourgeois, et dans le contexte du projet de modernisation de la rie Notre-Dame, les pauvres du quartier Hochelaga-Maisonneuve. Ainsi, l’esprit derrière la lettre d’affirmation du ministre Pinard nous semble être celui-ci : « l’automobile est profitable… pour NOUS ». Cela, bien sûr, uniquement à moyen terme, si nous considérons que la dégradation de l’environnement social et naturel et l’instabilité politique qu’elle entraînera finiront par rattraper même les mieux nantis.
La politique publique du gouvernement en matière de transport ne sert donc pas les intérêts du peuple, ni même les intérêts à long terme de la bourgeoisie. Elle ne sert que les intérêts à court terme de l’élite techno-industrielle, qui exige une croissance économique à tout prix. D’un point de vue écologique, le projet de modernisation de la rue Notre-Dame est dévastateur. Pour la population de ces quartiers, il signifie une augmentation de la circulation automobile et du camion dans les rues du quartier. Autrement dit, une augmentation du bruit et de la mauvaise qualité de l’air. Sans compter l’éviction et donc, la démolition d’immeubles dans le cadre de la pénurie de logements.
Impacts environnementaux de l’automobile et du camion sur la santé humaine dans le cadre du projet de modernisation de la rue Notre-Dame
La construction de nouvelles infrastructures routières entraîne inévitablement l’augmentation du débit routier. L’idée de construire une véritable autoroute avec la rue Notre-Dame ne diminuera pas le trafic routier et donc contribuera à la détérioration de l’environnement. Une telle politique publique est toujours regrettable parce que l’automobile et le camion sont les moyens de transport les plus nuisibles et polluants pour l’environnement et la société. Ces polluants sont la cause, entre autres, d’une diminution des fonctions pulmonaires, qui cause et aggrave des maladies respiratoires telles que l’asthme, la bronchite chronique et le cancer du poumon.
Les pluies acides
Le dioxyde de souffre (SO2) est la principale cause des pluies acides. Les pluies acides sont une menace sérieuse pour les écosystèmes. Elles acidifient les lacs, ce qui les rend moins propices à soutenir la vie. Les lacs acidifiés perdent de leur biodiversité et finissent par être envahis par des mousses, des algues et des mouches noires formant des écosystèmes pauvres. Les pluies acides acidifient également le sol des forêts, détruisant les nutriments essentiels qu’il contient. Les arbres, n’arrivant plus à puiser dans le sol les nutriments nécessaires à leur survie, croissent plus lentement ou cessent tout simplement de croître. La forêt régresse et perd de sa vitalité.
La pollution sonore
L’automobile et le camion contribuent en grande partie à la pollution sonore dans les milieux urbanisés. Ce genre d’assaut sonore est nocif pour l’organisme humain. Un niveau élevé de bruit provoque une augmentation du stress, qui se traduit entre autres par de la nervosité, de l’impatience et de l’agressivité. Bien que peu d’études aient été faites sur les liens entre le stress dû à la pollution sonore et les comportements agressifs en milieu urbains, nous pouvons deviner qu’un environnement stressant favorise ce genre de comportements dangereux pour la santé et la sécurité humaine.
Le réchauffement de la planète
Le transport motorisé assure une part importante de la pollution atmosphérique dans le monde. Depuis les début de la seconde révolution industrielle, vers les années 1860, le taux de dioxyde de carbone dans l’atmosphère terrestre a augmenté de 30%. Le dioxyde de carbone d’origine industrielle contribue aujourd’hui pour environ 50% du réchauffement planétaire dû à l’activité humaine.
Le réchauffement de la planète est un phénomène extrêmement inquiétant parce qu’une augmentation de la température globale d’à peine quelques degrés Celsius, comme le prévoit la communauté scientifique internationale pour les prochaines décennies, devrait entraîner un dérèglement systématique des climats suivant une pente fatale. Le réchauffement de la planète causera l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des vagues de chaleur, qui rendront le climat de certains régions habitées plus hostiles à la vie humaine.
Notre alternative
Le transport en commun n’est pas nécessairement un outil partagé entre le gouvernement et le secteur privé. Il peut devenir une richesse collective pour une communauté qui décide de mettre en place un système de transport autonome et d’entraide. Si nous pouvons produire ici même les produits que nous désirons, il n’y a pas de raison valable pour aller les chercher ailleurs. En fait, nous devrions nous adapter à notre écosystème et privilégier une économie locale à petite échelle. Dans une telle économie, les autoroutes seraient moins achalandées et l’écosystème moins pollué.
Notre alternative est, selon nous, une solution radicale aux problèmes contemporains de l’automobile, de la congestion, de la pollution et de l’institutionnalisation de la volonté de domination au sein de l’appareil étatique. La prise de conscience devra se faire par des actions concrètes constructives et par l’éducation participative et anti-autoritaire.
Notre solution : enlever du béton!
Prenons l’exemple d’un quartier résidentiel comme Hochelaga-Maisonneuve. Nous proposons de garder le béton sur les rues principales et le reste des rues devra être nettoyé et les déchets de béton devront être recyclés. Ce qui restera de l’ancienne surface de béton aura été repris par la nature, contribuant ainsi à la revitalisation naturelle du quartier.
Par la suite, on passera au deuxième stade, la restructuration des rues. Les routes restantes seront desservies par des autobus et des tramways. Une rue commerciale, comme Sainte-Catherine, pourra offrir un service efficace de tramway, contribuant à la revitalisation urbaine. D’autres rues plus larges et résidentielles pourront combiner l’autobus et le tramway si nécessaire. Par ailleurs, à cause de nos hivers assez rudes, le prolongement du métro devra desservir tous les endroits à haute densité de population pour permettre un plus grand confort aux habitant-e-s de la ville et ceux/celles de la banlieue reliés par les trains de banlieue et SLR.
Enfin, notre plan comprend une réappropriation de tous les espaces vacants pour les collectiviser et les transformer en espaces verts. Il propose la construction d’une piste cyclable traversant tout Montréal pour encourager des moyens de transport alternatifs et moins polluants.
Notre alternative consiste bien évidemment en un changement total du système de transport sur l’île de Montréal. Nous prônons un service de transport en commun gratuit, autonome et décentralisé. Décentralisé, pour que les décisions reviennent aux communautés participant au service plutôt qu’au secteur privé et au gouvernement.
En augmentant l’efficacité et l’accessibilité du transport en commun, les gens auraient beaucoup plus d’avantages à utiliser celui-ci plutôt que l’automobile. En observant la carte de l’île de Montréal, on s’aperçoit que l’urbanisme de la ville permet l’implantation d’un réseau de transport de surface dont toutes les stations seraient situées à moins de 5 minutes à pied des zones habitées. Avec le développement du tramway au centre-ville, du métro sur l’île, et d’un réseau d’autobus pour compléter le tout, l’île de Montréal sera la ville parfaite pour réaliser le projet d’une île sans voitures. Le développement du SLR, du train de banlieue et du viabus dans les futurs « villages urbains » pourrait favoriser le déplacement inter-rives.
Il est important de garder à l’esprit que l’évolution vers un tel système révolutionnaire devra se faire par étapes, et que la population devra prendre en main sa propre destinée et celle de son quartier. Un tel projet de société anti-autoritaire, qui se base sur la démocratie directe, ne se fera pas seul. Il faut s’organiser et reprendre en main la « gestion » de nos quartiers.
(1) Bernard Pinard, ancien ministre de la Voirie, Encore une autoroute à Montréal! Pourquoi?, 1972