Repenser l’identité, la sécurité et l’appropriation – Ou : pourquoi le tarot est-il interdit au Salon du livre ?

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Soumission anonyme à MTL Contre-info

Cette année, le collectif du Salon du livre anarchiste a demandé à deux groupes – dont la librairie noire Racines – de ne pas vendre de cartes de tarot à leur kiosque, car cela constituerait une appropriation culturelle. Cette décision s’appuie sur l’affirmation selon laquelle le tarot a été développé par les Roms. J’ai été surpris.e d’entendre cela. Je ne suis en aucun cas expert.e en tarot, mais j’ai toujours pensé qu’il avait été créé par des Européens blancs.

Depuis, j’ai fait pas mal de recherches sur ce sujet. Il y a certainement des Roms qui pensent que les Occidentaux se sont approprié le tarot et qu’il devrait rester une pratique fermée (c’est-à-dire non utilisée par les non-Roms). En même temps, certaines personnes roms réfutent cette notion et encouragent les autres à s’engager dans cette pratique ou nient qu’elle ait quoi que ce soit à voir avec leur culture. J’ai glané une grande partie de ce sentiment sur l’internet, par le biais de forums, de blogs et de médias sociaux. Je n’ai aucun moyen de savoir si les discussions que j’ai rencontrées sont authentiques, mais je n’ai aucune raison de croire le contraire. Il ne semble pas y avoir de consensus parmi les Roms sur la question de savoir si la pratique est d’origine rom et, si c’est le cas, si elle doit rester fermée.

Le tarot a plus de 600 ans. Les historien.ne.s (et pas seulement celleux de l’Europe blanche) s’accordent généralement à dire qu’il a été développé en Italie. Les premiers jeux de tarot documentés ont été enregistrés entre 1440 et 1450 à Milan, Ferrare, Florence et Bologne. Les plus anciennes cartes conservées ont été peintes au milieu du XVe siècle pour les souverains du duché de Milan. Le tarot a d’abord été utilisé pour divers jeux. L’exemple le plus ancien d’utilisation pour la cartomancie (c’est-à-dire la divination, ce que nous connaissons le plus souvent aujourd’hui) provient d’un manuscrit italien anonyme datant de 1750. L’occultiste français Jean-Baptiste Alliette (1738-1791), sous le pseudonyme d’Etteilla, a été le premier à développer un concept d’interprétation pour le tarot. Au cours des 18e et 19e siècles, le tarot a été largement utilisé pour la cartomancie en Europe occidentale, en particulier en Italie et en France.

Alors, pourquoi certaines personnes associent-elles le tarot à la culture rom, alors que tout indique qu’il a été développé par les Européens ? L’explication la plus probable est que le tarot a été faussement présenté comme originaire du Moyen-Orient par deux intellectuels français.

Le pasteur français Antoine Court de Gébelin (1725-1784) affirmait que le tarot était le dépositaire d’une « sagesse obscure ». Dans un essai tiré de son livre Le Monde primitif, analysé et comparé avec le monde moderne, de Gébelin note que la première fois qu’il a vu un jeu de tarot, il a perçu qu’il contenait les « secrets des Égyptiens ». Sans en apporter la preuve, il affirme que des prêtres égyptiens ont distillé l’ancien Livre de Thot dans les images du tarot.

Jean Alexandre Vaillant (1804-1886) était un enseignant français, un activiste politique et un fervent étudiant des traditions roms qui a poussé les affirmations de Gébelin un peu plus loin. Il affirma que les travailleurs itinérants roms avaient apporté le tarot en Europe. À l’époque, on pensait que les Roms étaient originaires d’Égypte (des recherches génétiques ont depuis montré qu’ils venaient de l’actuel Rajasthan, en Inde). Compte tenu de leur longue histoire de nomadisme, Vaillant en conclut qu’ils ont dû apporter le tarot en Europe. Comme Gébelin, il ne fournit aucune preuve de ce qu’il avance.

L’association du tarot à la culture rom pourrait elle-même provenir de la convention européenne raciste qui associe l’occultisme, la sorcellerie et d’autres formes de spiritualité non chrétienne à l’« Orient ». Il est tout à fait possible que de Gébelin et Vaillant aient cherché à donner un sens à l’évolution du tarot, qui est passé de cartes à jouer inoffensives à des instruments de connaissance ésotérique, en l’associant aux Égyptiens de l’Antiquité et, à leur tour, aux Roms.

Outre les allégations d’appropriation culturelle, j’ai également vu des arguments fondés sur la prémisse que les Occidentaux qui pratiquent le tarot rendent plus difficile pour les Roms – qui connaissent encore une pauvreté et une privation de droits généralisées – de gagner de l’argent en lisant le tarot. Bien entendu, si vous envisagez de lire le tarot à proximité d’une personne rom qui le fait également, vous pouvez envisager d’aller ailleurs pour ne pas empiéter sur ses moyens de subsistance. Toutefois, cet argument ne tient pas dans le contexte du Salon du livre, où les gens vendraient simplement leurs propres versions réinterprétées des jeux de tarot. La plupart des articles que j’ai trouvés sur le tarot et l’appropriation culturelle soulèvent également ce point.

Les groupes ethniques et raciaux défavorisés offrent depuis longtemps des services de cartomancie, de chiromancie et d’autres services de divination pour gagner leur vie. Si les Roms sont certainement de fervents praticiens du tarot depuis des centaines d’années, il n’existe aucun lien entre eux et les origines de ce dernier. Il est sans aucun doute important d’être conscient de la manière dont nos actions affectent les personnes socialement désavantagées, mais je ne pense pas qu’il soit judicieux pour le collectif du Salon du livre d’interdire à quiconque de pratiquer le tarot sur la base d’allégations selon lesquelles il représente une appropriation.

Je suis conscient.e qu’il y a eu et qu’il y a encore des désaccords internes au sein du collectif concernant la question du tarot et la politique d’appropriation culturelle dans son ensemble. Ce texte n’est pas une dénonciation du collectif du Salon du livre ou de ses membres. J’apprécie tout ce que vous faites et je continuerai à participer au Salon du livre tant qu’il existera. En publiant ce texte, j’espère ouvrir le dialogue sur la politique d’appropriation culturelle et mettre en lumière ses lacunes.

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Pour être honnête, je n’aime pas beaucoup le tarot. J’ai eu droit à quelques lectures de tarot et je ne les ai trouvées que peu intéressantes. En fin de compte, la question de savoir si le tarot est autorisé au Salon du livre ne me préoccupe pas vraiment. Cependant, cette question peut servir de point de départ à une discussion plus large sur l’identité, la sécurité et l’appropriation. Ce sont des sujets dont je parle avec des camarades racisé.e.s depuis de nombreuses années, dans le contexte du Salon du livre et en général. J’aurais aimé avoir plus de temps pour écrire ce texte, mais j’ai aussi pensé qu’il serait important de le terminer avant le Salon du livre.

En tant que personne d’origine autochtone américaine, j’ai réfléchi à l’identité pendant la majeure partie de ma vie. En tant qu’anarchiste, je me suis débattu.e avec des idées sur qui peut parler au nom des groupes minoritaires. Lorsque la police assassine une personne racisée, les soi-disant leaders communautaires sortent souvent du bois pour dire à tout le monde de rester calme et de faire confiance au système judiciaire pour trouver la justice. Qu’en est-il de ceux qui veulent tout brûler ? Lorsque quelques personnes affirment qu’une pratique particulière est inappropriée ou nuisible, il est facile de présenter leur opinion comme un fait irréfutable. Devrions-nous ignorer tous celleux qui ne sont pas d’accord avec elleux ?

Je suis sûr.e que l’on pourrait avancer un argument convaincant pour expliquer pourquoi boire de la yerba mate – une boisson traditionnelle qui fait partie intégrante des pratiques spirituelles et des histoires traditionnelles de mes ancêtres – est un acte d’appropriation. Cela signifie-t-il que vous devriez considérer ce point de vue comme représentatif de tous celleux qui viennent de la même partie du monde que moi ? Honnêtement, je suis heureux.se de voir d’autres personnes apprécier quelque chose qui a été si important pour moi et les personnes avec lesquelles je partage une lignée culturelle. Beaucoup sont d’accord avec moi et beaucoup ne le sont pas. Il y a quelques mois, un article intitulé « Les boissons énergisantes Yerba Mate sont-elles racistes ? » a été publié dans le journal étudiant de l’Université Concordia, The Concordian. Cependant, comme pour de nombreuses conversations sur l’appropriation culturelle, il n’y a pas de réponses définitives à cette question.

Ce que je sais, c’est que j’en ai assez que des individus parlent au nom de groupes qu’ils prétendent représenter, et encore plus que des personnes qui n’appartiennent pas à ces groupes prennent leur parole pour parole d’évangile. Nous sommes libres de faire des déclarations personnelles, mais parler au nom des autres nécessite un consentement. Affirmer que la communauté noire, autochtone, rom ou autre adhère à une position particulière est non seulement invérifiable, mais peut nuire à ceux qui ne sont pas d’accord. J’ai trop souvent vu des camarades racisé.e.s être maltraité.e.s par la communauté à laquelle iels appartiennent et par leurs soi-disant alliés pour avoir critiqué des idées populaires ou remis en question des personnes qui prétendent parler en leur nom.

En cherchant bien, on peut trouver des arguments en faveur de l’appropriation de pratiquement n’importe quoi. Certains articles affirment qu’il est raciste pour les personnes qui ne sont pas indiennes de faire du yoga ou pour les personnes qui ne sont pas chinoises de pratiquer l’acupuncture. La plupart de ces affirmations n’ont jamais vraiment pris de l’ampleur, même si certaines d’entre elles sont tout aussi logiques, sinon plus, que le raisonnement utilisé pour dire que le tarot est approprié. Des personnes non chinoises ont donné des traitements d’acupuncture gratuits au Salon du livre l’année dernière, ce qui illustre la nature arbitraire de l’application d’une politique d’appropriation culturelle. Pourquoi le tarot a-t-il franchi le seuil de l’appropriation culturelle alors que l’acupuncture ne l’a pas fait ?

La féministe noire Kimberlé Crenshaw avait raison de dire que, malgré son pouvoir de transformation pour rassembler les personnes marginalisées, la politique identitaire « confond ou ignore souvent les différences intragroupes ». La pratique consistant à faire des déclarations générales sur les personnes racisées s’inscrit dans une longue histoire de réduction des groupes minoritaires à quelques caractéristiques identifiables. Ceux qui ont le pouvoir et les ressources nécessaires pour diffuser leurs idées au public sont plus susceptibles de parler au nom d’un groupe donné. Il semble que les affirmations d’appropriation culturelle doivent gagner un certain élan social avant d’être prises au sérieux, ce qui est probablement influencé par le niveau de prestige des personnes qui font ces affirmations.

À tout le moins, si le collectif du Salon du livre prévoit de maintenir une politique d’appropriation culturelle, il est essentiel qu’elle ne soit pas appliquée sur la base d’informations erronées. Les décisions ne devraient pas être prises sur la base des affirmations erronées de quelques personnes sur Internet. Il y a déjà suffisamment de réactions négatives contre la « gauche woke », la « culture de l’annulation » et d’autres concepts de ce genre, et pas seulement de la part de la droite. Les politiques déraisonnables risquent d’aliéner des personnes d’origines politiques, ethniques et socio-économiques diverses. J’ai connu plusieurs camarades racisé.e.s issu.e.s de la classe ouvrière qui se sont éloignés des milieux gauchistes et anarchistes en raison d’un discours identitaire qu’ils jugeaient sans fondement, incohérent et pédant. Au lieu de nous rassembler, les politiques identitaires nous divisent souvent en fonction des classes sociales.

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La déclaration sur l’appropriation culturelle stipule : « Nous ne sommes pas intéressés à contrôler le corps des gens, d’autant plus que ce n’est ni réalisable du point de vue logistique – ni souhaitable – de surveiller chaque personne qui sera au salon ». Bien que le collectif du Salon du livre n’empêche personne de participer à l’événement en raison de son mode de vie, il prend des décisions sur l’accès aux tables en fonction de l’appropriation culturelle qu’il estime être le fait des candidats. Il cite également « des choix esthétiques tels que des personnes non-noires portant des dreadlocks et des personnes non-autochtones de l’île de la Tortue portant des coiffures Mohawks. » comme des exemples courants d’appropriation culturelle, tout en déclarant que l’on devrait envisager de rester chez soi s’il est « plus important pour vous de porter vos cheveux ou votre habillement comme vous le souhaitez ».

De nombreuses cultures à travers le monde, y compris en Europe, ont eu des coiffures qui ne se distinguent pas des dreadlocks et des mohawks d’aujourd’hui. La déclaration du Salon du livre implique qu’une personne hindoue portant une coiffure traditionnelle jaṭā, un type de dreadlocks, serait en train de s’approprier la culture. Il en va de même pour un autochtone colombien avec un mohawk, parce que les frontières coloniales modernes signifient qu’ils n’ont pas été retenus pour être originaires de ce qui est considéré comme l’île de la Tortue. J’espère qu’aucune de ces personnes ne se verra refuser une table sur la base d’un ensemble de critères étroits et répréhensibles, mais c’est ce que le collectif du Salon du livre a explicitement établi par écrit. Je ne serais pas surprise que quelqu’un choisisse de ne pas participer au Salon du livre ou de ne pas demander une table parce qu’il craint d’être accusé de ne pas répondre à ces paramètres, sans parler des innombrables personnes racisées pouvant être perçues comme blanches qui sont déjà confrontées au traumatisme de l’effacement et qui tentent de retrouver leurs racines.

Les sentiments d’anxiété peuvent être exacerbés par des incidents survenus lors de salons du livre précédents. En 2016, Midnight Kitchen, un collectif de McGill qui s’était porté volontaire pour fournir de la nourriture cette année-là, a décidé de ne pas servir des personnes perçues comme blanches avec des dreadlocks. Je pense que cet incident a joué un rôle important dans la formation de l’image publique du Salon du livre au Canada et au-delà. Je vivais sur la côte ouest à l’époque et je me souviens d’avoir entendu dire que les Blancs portant des dreadlocks n’étaient pas du tout autorisés à participer au Salon du livre. J’ai rapidement appris que ce n’était pas vrai, mais que cela était néanmoins alimenté par des dynamiques réelles qui avaient eu lieu. Je suis sûre que je n’étais pas la seule à avoir entendu cette rumeur, et il y a probablement des gens qui y ont cru bien plus longtemps que moi.

L’une des sources citées dans la déclaration du Salon du livre sur l’appropriation culturelle est un zine intitulé « Answers for white people on appropriation, hair and anti-racist struggle » par Colin Kennedy Donovan et Qwo-Li Driskill.

Les auteurs affirment qu’« en portant des ‘Mohawks’ et des dreadlocks, les Blancs montrent qu’ils ne sont pas conscients des luttes antiracistes et détériorent la confiance entre les Blancs et les personnes de couleur/non blanches ». C’est l’une des nombreuses affirmations du texte qui homogénéisent les gens. Je connais beaucoup de Blancs qui ont ces coiffures et qui sont de solides camarades antiracistes. Leurs choix de vie n’ont jamais eu d’incidence sur notre confiance mutuelle. Je suis tout à fait d’accord pour que les auteurs expriment ces pensées comme des opinions, mais ici ils les présentent comme des déclarations objectives.

Le texte affirme également que « la coiffure appelée « mohawk » est enracinée dans des traditions iroquoises distinctes et d’autres traditions des Premières nations/autochtones ». Les Haudenosaunee (Iroquois est un nom colonial que certains considèrent comme péjoratif) ne portaient pas ce que nous appelons communément le mohawk. Cette coiffure leur a été faussement attribuée par des films hollywoodiens du XXe siècle. La coiffure habituelle des Haudenosaunee se composait de cheveux épilés et d’un carré de trois pouces de cheveux sur la couronne arrière de la tête, avec trois courtes tresses. Les Pawnee, qui vivaient historiquement dans ce que nous appelons aujourd’hui le Kansas et le Nebraska, avaient une coiffure qui ressemble au mohawk actuel. Les auteurs n’y font pas référence, et il semble donc qu’ils entrent simplement dans la catégorie des « autres Premières nations ». Il s’agit là d’une forme d’invisibilisation qui aurait pu être évitée avec un peu de recherche.

Dans l’ensemble, le zine a un ton assez moralisateur et ne se lit pas comme quelque chose destiné à éduquer les gens en toute bonne foi. Je comprends qu’une grande partie du discours sur l’identité s’est développée à partir d’un sentiment de colère, mais il existe des moyens plus respectueux de parler d’un sujet aussi sensible. Je ne pense pas que ce texte ait sa place dans une discussion raisonnable sur l’appropriation culturelle. Si l’objectif est d’obtenir des résultats productifs dans la promotion de l’équité pour les personnes racisées, ce n’est pas une bonne source à mettre en avant.

Il est évident qu’une culture particulière basée sur un discours identitaire existe dans ce Salon du livre. Je ne sais pas si cela est alimenté par la déclaration sur l’appropriation culturelle. Néanmoins, je ne veux pas que quiconque se détourne du Salon du livre à cause de cette politique ou des incidents qui s’y sont produits au fil des ans. Je veux que plus de gens soient exposé.e.s aux idées anarchistes, afin que nous ayons une meilleure chance de combattre celleux qui contribuent réellement au maintien de la suprématie blanche. Il est peut-être temps d’examiner les avantages de cette politique et de les mettre en balance avec les dommages qu’elle pourrait causer par inadvertance.

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Selon le collectif, l’appropriation culturelle « a signifié que de nombreuses personnes qui subissent le fardeau de l’oppression racialisée se sont senties inconfortable au salon, au point de ne pas assister à l’événement ». Ceci est particulièrement significatif à Montréal, où la scène anarchiste est principalement blanche. Bien que je ne nie pas que certaines personnes voient une grande valeur dans la politique d’appropriation culturelle, je n’en ai encore rencontré aucune. La plupart des anarchistes racisé.e.s à qui j’ai parlé de ces sujets ont fait remarquer qu’iels se sentent encore plus étranger.ère.s lorsque les autres essaient de les accommoder en fonction de leurs identités, surtout lorsque ces personnes sont blanches. Il peut sembler condescendant de se voir accorder des privilèges ou d’être traité avec une attention particulière. Certain.e.s d’entre nous ne veulent pas que les politiques les protègent contre le mal. Nous préférons de loin être en mesure d’exercer notre force individuelle et collective pour relever et surmonter les défis.

Je vais faire une analogie peut-être grossière et comparer la politique d’appropriation culturelle aux services d’ordre lors des manifestations. Je pense que la plupart des personnes qui assument un rôle dans un service d’ordre ont de bonnes intentions. Ils bloquent la circulation de manière préventive afin que personne ne soit renversé par une voiture. Ils maintiennent la cohésion pour que tout le monde reste ensemble. Ils interviennent en cas de conflit interne pour que les différends soient rapidement résolus. Tout cela au nom de la sécurité collective. Ceci étant dit, je ne peux pas dire que j’ai jamais assisté à une manifestation encadrée par un service d’ordre que j’ai vraiment appréciée. Le fait qu’un groupe coordonné de personnes impose à tou.te.s les autres ce qu’il croit être le résultat le plus souhaitable n’a rien de libérateur. Il a toujours été plus gratifiant de faire face à des situations difficiles selon nos propres termes, car c’est ainsi que nous devenons plus fort.e.s ensemble. S’il s’avère que quelqu’un a fait quelque chose de nuisible au Salon du livre, j’espère que nous aurons la capacité collective de gérer cette situation en conséquence. Si nous n’y parvenons pas, je ne crois pas beaucoup en notre capacité à réaliser le changement transformationnel auquel nous aspirons en tant qu’anarchistes.

Après le meurtre de George Floyd en 2020, un groupe d’étudiant.e.s noir.e.s au secondaire qui n’avaient jamais fait de l’action politique ont organisé un rassemblement anti-police dans la ville où je vivais. Leur manifestation a rapidement attiré l’attention de certain.e.s gauchistes et anarchistes locaux racisé.e.s, qui les ont dénoncé.e.s pour avoir négligé la « sécurité de la communauté BIPOC » . L’un de leurs griefs était que les organisateur.trice.s avaient prévu un micro ouvert au cours duquel des personnes de toutes origines auraient pu exprimer leurs opinions sur le racisme et la brutalité policière. Iels partaient du principe que le fait de ne pas contrôler les intervenant.e.s mettait en danger la sécurité des participant.e.s parce qu’une personne blanche pouvait prendre le micro et dire quelque chose de préjudiciable. Ils n’ont eu de cesse de forcer les organisateur.trice.s à annuler le rassemblement, et les critiques se sont rapidement transformées en harcèlement. Les organisateur.trice.s ont reçu une multitude de commentaires haineux et menaçants. Lorsque je les ai contacté.e.s pour leur offrir mon soutien, l’un.e d’entre elleux m’a dit que c’était la première et la dernière fois qu’iel essayait d’organiser un événement politique à cause de la façon dont iel avait été traité.e. Les retombées ont été si graves que je ne serais pas étonné.e que la participation ait finalement été réduite de moitié, les gens ne sachant plus de quel côté du conflit se situer.

Finalement, les organisateur.trice.s ont quand même organisé le rassemblement. Une foule nombreuse et diversifiée s’est présentée. Tout le monde a été autorisé à prendre le micro, quelle que soit son apparence. À un moment donné, un homme blanc d’un certain âge s’est levé et a dit quelque chose de légèrement offensant. La foule l’a chahuté et quelques personnes l’ont pris à part pour lui expliquer pourquoi son commentaire était problématique. Néanmoins, tout s’est bien passé. L’homme est resté jusqu’à la fin du rassemblement, et je suis certain.e qu’il n’est pas le seul à avoir appris quelque chose de précieux de cette interaction. Plusieurs autres Blancs ont eu l’occasion de s’exprimer, et je suis heureux qu’ils l’aient fait, car leurs propos étaient réfléchis et inspirants.

Quelques semaines plus tard, le groupe qui avait boycotté le rassemblement a organisé son propre événement. Le principe était le même, mais cette fois-ci, seules les personnes racisées ayant contacté les organisateur.trice.s à l’avance ont été autorisées à prendre la parole. L’ambiance était morose. Le micro était dominé par des étudiant.e.s universitaires qui énuméraient leurs qualifications professionnelles avant de se lancer dans des monologues académiques qui ressemblaient plus à des dissertations qu’à des mots venant du cœur. En fin de compte, les barrières d’accès créées au nom de la sécurité ont abouti à un événement ennuyeux et banal. La foule était moins nombreuse et moins diversifiée que lors du précédent rassemblement.

Attendez, qu’est-ce que cette étrange tangente a à voir avec le Salon du livre ? Ce que je veux dire, c’est qu’essayer trop fort d’atteindre un certain niveau de sécurité peut être étouffant. Cela ne veut pas dire que nous ne devrions pas être attentif.ve.s à notre organisation et prévoir des situations défavorables. Cependant, la sécurité semble être devenue moins une question de protection mutuelle qu’une obsession de s’assurer que personne ne se sente jamais mal à l’aise, ce qui est une attente irréaliste. J’ai trop souvent vu des personnes racisées se battre entre elles pour la notion de sécurité au lieu de se concentrer sur les principales forces qui nous maintiennent dans l’insécurité : l’État, la police et les personnes qui soutiennent ces institutions.

Une grande partie du discours populaire basé sur l’identité a pénétré les cercles anarchistes il y a 10-15 ans. Beaucoup de choses ont changé depuis, et je pense qu’il est temps de réfléchir à l’utilité de ces idées dans notre vie quotidienne. Au cours de la dernière décennie, nous avons assisté à l’émergence rapide de groupes fascistes armés et organisés en Amérique du Nord. Nous avons également assisté à une augmentation de 66 % du nombre de meurtres commis par la police au Canada, avec un nombre disproportionné de victimes noires et autochtones. Pouvons-nous donc cesser d’essayer de réduire en cendres les projets des uns et des autres en raison de désaccords ? Pouvons-nous cesser de nous concentrer sur la question de savoir si les choix de vie des gens sont acceptables ou non ? Parce que lorsque les choses tourneront mal, vous avez bien raison de dire que j’aurai besoin de l’oogle blanc avec des dreads à mes côtés. Je prendrai toute l’aide que je pourrai avoir.

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L’appropriation culturelle peut sans aucun doute être un concept utile. La capacité de conserver des pratiques traditionnelles et de veiller à ce qu’elles ne soient pas modifiées par des personnes qui n’ont aucun lien historique avec elles est cruciale pour la continuité culturelle des minorités ethniques et raciales. De nombreuses pratiques culturelles uniques et distinctives doivent être protégées. Je pense également que l’appropriation culturelle est particulièrement flagrante dans le contexte des entreprises capitalistes (par exemple, les mascottes sportives offensantes, les costumes d’Halloween dégradants, les spas New Age proposant des cérémonies de la suerie, etc.) Je souhaite que tous les participants au Salon du livre se sentent relativement en sécurité et bienvenu.e.s. Cependant, je me demande dans quelle mesure cet objectif est atteint lorsque je pense à l’éventail de personnes qui pourraient être rebutées par la vision limitée de la déclaration sur l’appropriation culturelle.

Je propose que le collectif du Salon du livre ouvre ce sujet à la discussion. Je crains que la question du tarot ne soit qu’un début et que, sans l’avis du public, la politique d’appropriation culturelle continue d’être mise en œuvre de manière déraisonnable. Je suis fermement convaincu.e que la version actuelle de la déclaration sur l’appropriation culturelle pourrait aliéner les personnes mêmes qu’elle tente de soutenir. Il est temps que la communauté anarchiste plus large façonne l’avenir de cette politique.

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