Sur François Legault et la CAQ

“J’aime profondément le Québec” est la première phrase d’un livre écrit par François Legault.

D’entrée de jeu, il se positionne. Parce que cette déclaration d’amour cherche quelque chose en retour. Une déclaration d’amour. Une réciprocité. Une déclaration d’amour envers le Québec, mais en même temps, une déclaration d’amour envers lui.

Il veut incarner la nation. Les nationalismes et hiérarchies en place offrent cette possibilité.

François Legault est le politicien le plus populaire au Québec. Son opération de séduction a réussi. Il a trouvé le sweet spot.

Je ne cherche pas une alternative à Legault, un chef d’un autre parti qui ferait mieux mon affaire. Je ne vote pas et je ne me laisse pas représenter par des politiciens. Alors, je suis mal placé peut-être pour juger des attraits de tel ou tel spécimen. Mais je crois qu’il faut se pencher sur ce phénomène—les attraits des politiciens—et en particulier, au Québec, par rapport au nationalisme.

Il faut situer Legault dans un contexte mondial de la gamme de modèles nationalistes. Des nationalismes religieux (Modi, Erdogan), ou bien de strongman à la sauce nostalgie (Poutine, Trump), parmi d’autres. Et Legault, il poigne pourquoi?

Est-il charismatique? Pas vraiment, on dirait.

Alors, l’aspect papa Legault? On a tous un papa. Papa Legault veille. Il protège. Il protège la nation. Le péril guette.

Le nationalisme c’est la peur. La peur de l’autre. La peur de disparaître.

Et l’aspect businessman? Un ancien PDG. Un gars qui a réussi, pas un charlatan comme Trump avec ses faillites et les millions injectés dans ses projets par son père riche. On peut faire confiance à Legault. Le dossier économique volé au Parti libéral et le dossier nationaliste volé au PQ.

Ou le côté gars ben ordinaire? On peut prendre un verre avec lui. Aux antipodes du modèle hautain et trop cérébral de Couillard.

Legault est le fondateur de la CAQ et son porte-parole. Mais si son parti est jeune, Legault est un vieux routier qui a déjà occupé plusieurs postes de ministre au PQ. Au moment donné, il aurait pu envisager d’être le chef.

L’arrivée de la CAQ a mis fin à l’alternance PQ/PLQ qui avait duré depuis une génération. Suite aux deux échecs référendaires, le mouvement souverainiste était en perte de vitesse. Legault a bien compris la conjoncture et ce qui était possible comme nationalisme, un autonomisme duplessiste modernisé. Et ce serait lui le chef.

En abandonnant l’option indépendantiste, il est devenu un traître aux yeux de ceux, encore nombreux, qui y croient encore. Ces gens, bien présents au Journal de Montréal et dans l’Empire québecor, exerceraient des pressions et lanceraient des flèches. Amers et frustrés, bon nombre sombrerait dans ce qu’on peut appeler le nationalisme déprimé.

En même temps, puisqu’il a milité au PQ, Legault a prouvé son sérieux comme nationaliste ce qui l’aiderait à attirer bon nombre de péquistes vers la CAQ.

Ayant trouvé la formule gagnante, Legault et la CAQ ont renforcé leur avantage en refusant de mettre en place des changements au mode de scrutin qu’ils avaient pourtant proposé eux-mêmes dans le passé. Présentement, ils jouissent d’une situation idéale avec une abondance d’élus et une opposition fragmentée, où aucun autre parti est sérieusement en mesure de prendre le pouvoir. Avec l’effondrement de la dichotomie souverainiste/fédéraliste, les fédéralistes francophones ont abandonné le PLQ, qui ne prendra vraisemblablement plus jamais le pouvoir.

La nation

La nation québécoise, le peuple québécois, l’État québécois, la province de Québec, tant de concepts concrets mais aussi flous et subjectifs. Un État est concret, avec des flics et prisons, mais aussi un concept auquel on accorde des valeurs.

Peuple québécois peut être conçu sociologiquement comme une identité qu’on adopte ou qu’on n’adopte pas. Ne pas l’adopter ne signifie pas qu’on rejette les gens qui vivent Ici.

Il y a plusieurs siècles, des armées et des colons ont commencé à arriver de l’Europe sur des bateaux. Il y a eu des gagnants et des perdants. La Hollande a été un perdant, tassée par l’Angleterre.

Au début de la colonisation, le Vatican a joué un rôle important par rapport à l’Espagne et le Portugal, deux pays catholiques, en fixant les frontières de leurs territoires respectifs dans l’Amérique. Ailleurs, les choses s’arrangeront par les armes. Des microbes inconnus, apportés par les européens, tueront massivement les autochtones qui seront conquis militairement. Si les autochtones sont les grands perdants, les français seront les petits perdants parmi les vainqueurs en s’accaparant moins de territoire que les autres, mais un territoire immense pareil !

Dans le territoire qui deviendra le Canada, les français ont été battus militairement par les anglais, et au siècle suivant, le Canada sera fondé par les “deux peuples fondateurs.” Les autochtones connaîtront le sort que l’on sait.

Cette historique très sommaire en dit long concernant comment on est arrivé à la situation actuelle, les langues qu’on parle et les frontières qui existent. On est l’aboutissement de projets colonialistes. Puisque la guerre n’est plus le moyen de régler les choses dans ce coin de la planète, il faut s’arranger autrement. Pour la CAQ c’est simple, on fait appel à la majorité genre voter pour nous c’est voter pour vous – ce que tous les politiciens disent de toute façon.

Mais c’est quoi la nation québécoise, qu’est-ce qui la distingue? On disait autrefois que les anglais étaient pro-industriel et les francophones campagnards, mais ça fait longtemps qu’on ne décrit plus les choses ainsi. Puis que les anglais étaient protestants et les francophones catholiques, mais l’église catholique a été abandonnée, et côté identitaire, maintenant c’est censé être la laïcité, quoique la laïcité avait déjà été atteint, il semblerait, quand l’église a perdu le contrôle de l’éducation et d’autres institutions, donc bien avant la loi 21 de la CAQ.

Alors, la fameuse question de la langue? Selon Legault, “la langue française c’est la base de notre identité comme nation.”

Un aspect intéressant c’est que Legault, ainsi que ses parents, a grandi au West Island. Quand il parle de sa jeunesse, on se rend compte qu’il semble n’avoir jamais eu d’amis anglophones. Il raconte une anecdote:

“Je me rappelle avec plaisir les aller-retours sur le train du West Island, entre Saint-Anne et Montréal, assis avec mon cousin Pierre au milieu des gens d’affaires qui lisaient tous The Gazette. On avait convaincu le vendeur de journaux du train d’ajouter à son bagage quelques exemplaires du journal indépendantiste Le Jour. C’était pour nous un grand plaisir de le déplier devant les businessmen surpris.”

Beaucoup d’années plus tard, il sera en mesure de s’en prendre à l’anglais avec les outils fournis par l’État.

Le français et l’anglais sont des langues qui arrivent de loin, d’un autre continent. On ne pourra jamais les distancier de leurs origines colonialistes. Mais si c’est dans l’intérêt des politiciens et nationalistes de nous organiser par rapport aux langues qu’on parle, est-ce que les langues différencient réellement les gens? Je crois que non. À mon avis, le Québec fait partie d’un tout européen-nord-américain où les ressemblances dominent. Les langues sont formées par un ensemble de significations et concepts qui ont des équivalences dans les autres langues. Ce qui distingue réellement les gens c’est leur traits comme individus.

Présentement, dans ses interventions Legault propose un cocktail toxique langue et immigration. Si on ne lui accorde pas plus de pouvoirs concernant l’immigration, dit-il, ce sera la louisianisation, rien de moins. Accepter plus d’immigrants que le nombre fixé par la CAQ serait “suicidaire.”

Pour faire paniquer les gens concernant l’immigration, il dit n’importe quoi : “Les québécois sont pacifiques, ils n’aiment pas la chicane. Ils n’aiment pas les extrémistes. Ils n’aiment pas la violence, donc il faut s’assurer qu’on garde ça comme c’est là.” Quel gâchis!

Et rappelons ce qu’a dit l’ancien ministre de l’immigration, Jean Boulet :

“80% des immigrants s’en vont à Montréal, ne travaillent pas, ne parlent pas français ou n’adhèrent pas aux valeurs de la société québécoise.” Dans d’autres circonstances un gars qui disait de telles faussetés racistes aurait été renvoyé, mais Legault lui a simplement donné un poste de ministre différent, un peu comme l’église faisait changer de paroisse les prêtres pédophiles.

Comme immigrants Legault veut “près de cent pourcent de personnes qui parlent français,” une “question de survie” dit-il avec l’hystérie habituel. Donc des gens qui viennent de la France, la Belgique et la Suisse, et les pays victimes du colonialisme français.

Et les autres? Pas les bienvenus.

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